La mobilisation de toutes les forces des personnels hospitaliers pour la prise en charge des malades du Covid, associée à la mise en place d’une période de confinement, ont fait craindre des difficultés majeures pour maintenir l’effectivité de l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), tout particulièrement pour les personnes isolées, les personnes mineures, les femmes victimes de violences confinées avec l’auteur de ces violences.
Cette situation sans précédent est venue aggraver la pénurie préexistante de médecins pratiquant l’IVG, conduisant à une restriction du droit pour chaque femme à disposer de son corps. Le numéro vert national « Sexualités, contraception, IVG », porté par le Planning familial, a vu ainsi augmenter de 50% le nombre d’appels sur sa plate-forme depuis le début du confinement. La peur de sortir et d’attraper le virus, celle de ne pouvoir trouver de prise en charge, le renforcement du sentiment de solitude et de culpabilité, joint à une action délibérée de l’action des « antichoix » en cette période de confinement, via le référencement de leurs sites et leurs lignes d’écoute sur Internet, découragent nombre de femmes à exercer leurs droits.
Le HCE tient à saluer la mobilisation des professionnel·les de santé qui ont maintenu les consultations et favorisé, chaque fois que c’était possible, les IVG médicamenteuses à domicile, limitant ainsi les déplacements. Les capacités pour les avortements sous anesthésie locale ont été revues à la hausse et des partenariats noués avec des structures privées pour la prise en charge des IVG sous anesthésie générale.
Les demandes réitérées des professionnel.les de santé auprès des pouvoirs publics ont également, pour certaines d’entre elles, été prises en compte et notamment :
- un arrêté du ministère des solidarités et de la santé en date du 14 avril 2020 [1] qui autorise désormais les IVG médicamenteuses à domicile jusqu’à 7 semaines de grossesse ;
- la possibilité d’IVG médicamenteuse par télémédecine qui a été validée par la Haute autorité de santé le 9 avril 2020 [2], pour limiter les déplacements et/ou tenir compte des difficultés d’accès aux structures de soins ;
- l’assouplissement explicite des conditions d’accès à l’interruption médicale de grossesse (IMG), précisé par courrier du ministre des solidarités et de la santé en date du 23 avril 2020, qui inclut la raison de « détresse psychosociale », lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme.
Mais ces mesures ne suffisent pas à garantir le droit à l’IVG pour toutes les femmes, sur l’ensemble du territoire, dans des conditions de sécurité et d’accessibilité du parcours de prise en charge. Quatre améliorations demeurent possibles pendant la durée du confinement pour garantir l’effectivité de l’accès aux droits :
- L’allongement du délai durant lequel l’IVG chirurgicale peut être pratiquée en le portant à 14 semaines de grossesse au lieu de 12. Cette prise en charge exceptionnelle est d’autant plus nécessaire lorsque les femmes vivent dans un environnement dangereux et subissent des violences exacerbées par le huis clos exigé par le confinement, la réduction des possibilités de consultation entraînant des retards de diagnostic pouvant conduire à des demandes d’IVG hors délais. Hors confinement, ces demandes sont, par ailleurs, souvent prises en charge en dehors de la France (Pays Bas essentiellement). Encore faut-il que les patientes aient les moyens de payer l’intervention dont le coût de 1200 euros environ exclut d’emblée les patientes en situation de précarité. La fermeture actuelle des frontières rend plus difficile encore pour ces femmes l’accès à ces pays. Qu’elles soient moins informées, qu’elles aient plus de difficultés à mobiliser rapidement les moyens d’action les mieux adaptés, qu’elles aient des doutes ou des difficultés d’accès dans des territoires où parfois plus aucun praticien ne pratique l’IVG chirurgicale, l’effectivité de leurs droits doit passer par une adaptation immédiate du dispositif.
- La suppression du délai de 48 heures imposé aux mineures entre la première consultation et l’IVG, leur permettrait de pouvoir bénéficier d’une IVG dès leur première consultation, réduisant les grandes difficultés de déplacement et de discrétion en période de confinement, puisqu’elles vivent le plus souvent dans le giron familial.
- La modification de l’article L.2213-1 du code de la Santé publique pour ce qui concerne l’accès à l’IMG pour des raisons psychosociales qui impose [3] aujourd’hui une validation médicale par des gynécologues obstétriciens spécialisés, membres d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. Un élargissement aux gynécologues membres d’un centre d’orthogénie ou d’un service de gynéco-obstétrique permettrait d’augmenter le nombre de praticiens mobilisables, favorisant ainsi une plus grande capacité de mobilisation de l’équipe pluridisciplinaire.
- Un renforcement de l’information sur ces nouveaux dispositifs, et notamment l’allongement du délai pour les IVG médicamenteuses, qui est, à ce jour, insuffisante, limitant dès lors l’accès aux droits de ces femmes.
Dans le cadre de sa réflexion sur « Le monde, demain », le HCE demande que ces mesures d’exception, mises en place ou à venir, soient évaluées par les Agences régionales de Santé ou par une mission parlementaire afin d’être pérennisées si leur pertinence est confirmée. Il demandera à être entendu dans ce cadre pour porter la parole de la société civile et des acteurs et actrices de terrain qui agissent auprès des femmes.
Le HCE demande également que la réflexion se poursuive sur la suppression de la double clause de conscience en matière d’IVG et sur l’application effective du forfait IVG qui, il faut le rappeler, intègre non seulement l’acte médical lui-même mais aussi tous les actes associés.
Il exprime son inquiétude devant les manœuvres de certains gouvernements, comme ceux de Pologne, de Hongrie en Europe, ou encore de la Russie et de certains états des USA, qui utilisent la lutte contre le coronavirus pour restreindre les droits des femmes et notamment le droit à l’avortement.
Il salue les prises de position au niveau européen telle que la résolution du Parlement européen du 17 avril 2020 qui mentionne l’importance de garantir les droits génésiques et sexuels en période de crise sanitaire, de même que le rapport d’activité de la Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, qui fait part également de la mise en danger de ces droits.
Le HCE réaffirme son engagement à défendre ce droit si crucial pour des milliers de femmes chaque année pour qu’elles puissent faire les choix qui concernent leur corps.
[1] Arrêté du 14 avril 2020 complétant l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire
[2] Réponses rapides dans le cadre du COVID-19 – Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) médicamenteuse à la 8ème et à la 9ème semaine d’aménorrhée (SA) hors milieu hospitalier
[3] article L 2213-1 du code de la santé publique