PROPOSITION DE LOI visant à rendre obligatoire l’indication du pays d’origine pour tous les miels
En 2016, la consommation française de miel s’établit à 45 000 tonnes. Depuis plus de dix ans, cette consommation est en progression. Mais les organisations d’apiculteurs font le constat du fossé grandissant entre la part de la production nationale et la part des importations de miels dans la consommation.
Ainsi, selon les dernières données issues du bilan de campagne 2016 de FranceAgriMer, ces importations ont représenté en 2016, 35 583 tonnes alors que la production française a plafonné à 16 099 tonnes. L’année 2017 semble également avoir été marquée par un fort recul de la production, estimée à 10 000 tonnes. Le déclin de la production française est particulièrement saisissant lorsqu’on prend pour référence le niveau de la production dans les années 1990, qui était évaluée à quelques 30 000 tonnes.
Si la filière apicole française a connu de graves difficultés, notamment en lien avec les mortalités très importantes d’abeilles ces dernières années, la croissance fulgurante des importations de miel se fait aujourd’hui directement au détriment d’une relance souhaitée des productions nationales, et sans garantie de traçabilité, de qualité et de transparence pour les consommateurs.
Une croissance des importations qui contrevient à la volonté de relance de la filière apicole française
Consciente des difficultés spécifiques et grandissantes de la filière apicole, de la nécessité de son développement tant en termes de satisfaction de la demande de miels et produits de la ruche, que du rôle de la pollinisation dans le maintien des équilibres écologiques, la France s’est engagée en 2013 à mettre en œuvre un « Plan de développement durable de l’apiculture » abordant l’ensemble des problématiques et conclu pour une durée de 3 ans. Il s’agissait à la fois de répondre aux enjeux soulevés par les mortalités importantes d’abeilles, de soutenir la recherche dans le domaine de l’apiculture, de structurer le développement du cheptel, de former et installer des jeunes apiculteurs et de mieux organiser la filière apicole et la production. La prolongation de ce plan jusqu’en 2017 a permis certaines avancées, notamment en matière de recherche. Mais cet engagement se heurte aujourd’hui très directement à la structure du marché du miel et à des difficultés d’organisation et de développement de la filière de production.
En effet, le circuit principal de commercialisation du miel en France est la grande distribution avec environ « 55 % des ventes (hors restauration) » selon le bilan de campagne 2016 de FranceAgriMer, « les autres circuits étant la vente directe (27 %), les magasins spécialisés (14 %) et Internet (3 %) ». Le chiffre d’affaires de la vente de miels dans les grandes et moyennes surfaces (hors hard discount) « est estimé à plus de 190 millions d’euros […] en hausse de 12,5 % en valeur entre 2014 et 2016 ». Le même rapport précise que « depuis 10 ans, on observe une très forte augmentation de la demande de miel et dans le même temps une baisse assez notable de la production » conduisant « la France à importer du miel pour pallier son manque de production […] et pour répondre à la demande croissante » soit une augmentation « de près de 60 % des volumes importés » en 10 ans !
Le bilan 2016 de FranceAgriMer apporte un éclairage particulièrement intéressant à la fois sur l’origine de ces importations et la croissance de leur valeur : « en 2016, ces importations proviennent essentiellement d’Espagne (20 % du volume), de Chine (14 %), d’Ukraine (13 %) et d’Argentine (9 %). […] De 32 933 tonnes en 2015, les importations sont passées à 35 583 tonnes en 2016, soit une augmentation de 8 %. […] Les importations en valeur ont connu une augmentation très importante depuis 10 ans. Elles sont passées de 41,52 millions d’euros en 2006 à 114,7 millions d’euros en 2016, soit une hausse de 176 % […] et en volume de 22 640 tonnes en 2006 à 35 580 tonnes en 2016. »
Une croissance des fraudes liée à l’absence de traçabilité
Ces importations massives s’accompagnent d’une dégradation sans précédent de la qualité des miels, le plus souvent mélangés à des miels produits dans l’Union européenne puis vendus avec la mention « mélange de miels originaires et non-originaires de l’UE ». Les contrôles menés ces dernières années au niveau européen comme au niveau national démontrent systématiquement le caractère frauduleux d’une large partie des échantillons, soit en raison de fausses informations relatives à leur origine, à l’emploi abusif de fausses origines ou de mentions fausses sur leur origine végétale, soit à travers des procédés d’adultération comme l’ajout de sucres et sirops de sucres. La fraude la plus répandue consiste ainsi à ajouter dans les miels des produits sucrants à bas prix (à partir de sirops de maïs ou de riz) parfois enrichis avec des pollens pour mieux contourner les contrôles de base effectués sur les lots.
Ainsi par exemple, en 2014, les tests menés par l’association UFC-Que Choisir avaient constaté « que sur 20 miels “premier prix” achetés dans diverses enseignes de la grande distribution, six présentaient des ajouts de sucre, soit presque un tiers des produits. » Alors que les miels mélangés représentent près de 75 % des miels consommés en France, en 2015, une étude de la commission européenne avançait également « qu’un miel sur trois n’était pas conforme. »
La multiplication des cas de fraudes sur la composition et l’origine des miels achetés est intimement liée à la croissance vertigineuse des importations. Certains pays auraient ainsi vu leur production progresser de façon tout à fait surprenante, sans lien avec la progression du nombre de ruches. On estime que les exportations de miel en provenance de Chine ont plus que doublé depuis 2007 (passant de 64 000 tonnes à 144 000 tonnes), alors que le nombre de ruches n’aurait progressé que de 13 % ! Dans le même temps, dans les pays européens producteurs, certains transformateurs se sont spécialisés dans le mélange des miels importés et la mise en pot, sans réel contrôle en matière de garantie d’origine et de composition compte-tenu d’une règlementation européenne particulièrement permissive.
Assurer la transparence et la traçabilité sur l’origine des miels : une nécessité pour l’avenir de la filière et les consommateurs
Suite au premier bilan du plan de développement durable de l’apiculture lancé en 2013, de nombreuses actions engagées en matière de la structuration de la filière et d’accompagnement de la production restent à accomplir. Dans le cadre de son prolongement, une mesure de soutien immédiat de la filière apparaît aujourd’hui indispensable : celle de la garantie de la transparence et de la traçabilité des miels commercialisés en France.
Les logiques de marges financières de certains transformateurs et de la grande distribution poussent en effet à substituer de plus en plus les miels importés aux productions françaises. Les prix d’achat de ces miels importés sont de 2 à 3 fois inférieurs, de l’ordre du 1,60 €/kg en provenance de Chine à 2,5 €/kg en provenance d’Argentine pour un prix moyen de vente du miel dans le circuit de la grande distribution de 11 €/kg. Cette différence dans les prix d’achat permet d’autant plus de conforter les marges des transformateurs importants comme de la distribution, que les miels vendus sont pour l’essentiel des miels mélangés portant la mention « mélange de miels originaires et non originaires de l’UE ». Les consommateurs n’ont donc aucune possibilité de connaître l’origine des miels et leur part respective dans le produit vendu.
Ainsi, le cadre règlementaire européen prévu par la directive 2014/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 modifiant la directive 2001/110/CE du Conseil relative au miel sert aujourd’hui d’appui à toutes les pratiques d’importations abusives et de fraudes. Alors que l’article 1er de la directive prévoit que « a) le ou les pays d’origine où le miel a été récolté sont indiqués sur l’étiquette », les 4 alinéas suivants introduisent une possibilité de déroger à cette obligation d’indication du pays d’origine, pour le miel « originaire de plus d’un État membre ou de plus d’un pays tiers » sous les étiquetages « mélange de miels originaires de l’Union européenne », « mélange de miels non originaires de l’Union européenne », « mélange de miels originaires et non originaires de l’Union européenne ». Cette disposition dérogatoire sur laquelle s’appuie aujourd’hui l’essentiel de l’offre de miels doit donc être levée.
La présente proposition de loi vise donc à assurer la transparence pour les producteurs et les consommateurs et une véritable traçabilité de tous les miels vendus en France, qu’ils soient originaires d’un seul pays ou de plusieurs.
- Son article 1erprévoit qu’à compter du 1er janvier 2019, l’indication de chaque pays d’origine est rendue obligatoire sur l’étiquetage pour les miels originaires de plus d’un État membre ou de plus d’un pays tiers. Il permettra de disposer d’un appui règlementaire qui n’existe pas aujourd’hui pour contrôler l’origine des miels mélangés qui constituent aujourd’hui l’essentiel des miels vendus en France, et ce, sans attendre le changement souhaité du cadre réglementaire européen. Cet article prévoit que les conditions de mise en application de cette nouvelle obligation sont définies par décret.
- Son article 2 prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la mise en œuvre de la présente loi et ses incidences pour la filière française de production de miel, qui devra notamment préciser les nouveaux moyens nécessaires au renforcement des contrôles alimentaires, sanitaires et de la répression des fraudes quant au respect de cette obligation par l’ensemble des opérateurs concernés.