Une journée pour commémorer les victimes de la guerre d’Algérie, à l’heure d’une coopération franco-algérienne ambivalente

 

Ce 19 mars a lieu la journée nationale du souvenir à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Cette journée, instituée en 2012 pour marquer l’anniversaire des accords d’Évian de 1961 et le cessez-le-feu en 1962, permet de prolonger le devoir de mémoire concernant cette guerre d’indépendance qui fit de nombreuses victimes, dans un contexte actuel de coopération parsemée de tensions entre la France et l’Algérie.

Un travail de reconnaissance renouvelé sur la colonisation

Depuis 2017, Emmanuel Macron, président  de la République, a engagé un travail de reconnaissance : il est plus que temps de regarder l’histoire en face et de construire une mémoire républicaine partagée par le plus grand nombre, qui fasse le récit des zones d’ombres sans tomber pour autant dans une forme de repentance unilatérale.

Le rapport Stora, qui été publié en janvier 2021, incitait à plusieurs préconisations, parmi lesquelles, par exemple : instaurer de nouvelles dates de commémoration, comme le 25 septembre pour les harkis ou le 17 octobre en mémoire des travailleurs algériens massacrés lors de la manifestation de 1961 ; renforcer la coopération France-Algérie, en facilitant le travail d’archive bilatéral ou le déplacement des harkis et de leurs enfants entre les deux pays ; mieux enseigner la période aux jeunes, en incluant l’histoire de la colonisation dès lors qu’on traite de la guerre d’indépendance.

L’État a répondu par la positive à ces préconisations, notamment en ouvrant les archives ou encore en engageant un dialogue mémoriel avec l’Algérie, via une commission mixte d’historiens des deux pays qui ont commencé à travailler en ce début d’année 2023 sur la période coloniale et la guerre d’indépendance.

Certaines tensions empêchent encore une relation diplomatique apaisée

Il faut revenir brièvement sur l’histoire de l’Algérie depuis la fin de la colonisation pour mieux comprendre les relations actuelles. Le Front de libération national, dit FLN, qui avait permis l’indépendance du pays, est resté le parti unique au pouvoir jusqu’en 1989, développant une rhétorique anti-française pour asseoir son autorité.

S’ensuit ce qu’on a appelé la décennie noire, une guerre civile de 1992 à 2001, entre le gouvernement et le FIS, parti islamique d’opposition, accompagné du GIA, le groupe islamique armé. Lors de cette décennie, des déchaînements de violence martyrisent le pays, mais également, le GIA s’en prend régulièrement à des ressortissants français, comme les moines de Tibhirine en 1996.
Alors que la guerre s’achève par la victoire du gouvernement, l’élection d’Abdelaziz Bouteflika en 1999 apporte l’espoir d’une refondation des relations franco-algériennes : les rencontres bilatérales sont plus courantes, mais cette embellie est entachée les aveux des généraux français sur la torture d’une part, la persistance algérienne d’une demande de mea culpa de la France de l’autre.

Une coopération néanmoins persistante entre les deux pays

Les coopérations et collaborations sont restées nombreuses entre la France et l’Algérie.

Tout d’abord, l’Algérie reste un partenaire commercial important pour la France : en 2021, leurs échanges commerciaux représentent 8 milliards d’euros. Alors que notre pays importe principalement des hydrocarbures algériens, il est le 2ème fournisseur de l’Algérie, notamment en produits agricoles, pharmaceutiques ou automobiles.

De plus, il existe une coopération en matière judiciaire, via la convention d’extradition en 2021 par exemple, mais aussi en matière diplomatique et politique : les deux pays sont membres de l’Union pour la Méditerranée, qui favorise les relations entre l’Union Européenne et l’Afrique du Nord. Cela est nécessaire, d’autant plus dans le contexte énergétique que nous connaissons du fait de la guerre en Ukraine, alors que l’Algérie est le 3ème fournisseur de gaz naturel de l’UE.

Le 9 octobre 2022, la Première ministre Elisabeth Borne annonce la signature de 11 accords avec l’Algérie dans différents domaines, pour renouveler la coopération autour de trois piliers : l’économie, la mobilité (notamment étudiante et scientifique) et la jeunesse.

Une diaspora algérienne en France très développée

La communauté algérienne est très forte en France : elle est la 1ère cohorte immigrée de France en 2019, avec 846 000 personnes, auxquelles s’ajoutent les nationaux algériens vivant en France. Sur les 7,6 millions de personnes nées en France d’au moins un parent immigré, 1,2 million sont d’origine algérienne.

L’accord franco-algérien (AFA) de 1968 régit les principes concernant les ressortissants algériens en France, et notamment leurs conditions d’entrée, de séjour et de travail. L’accord prévoie ainsi un régime de faveur, notamment en facilitant l’entrée des Algériens en France, le regroupement familial ou encore l’obtention d’un certificat de résidence. La renégociation de cet accord, jugé par certains comme désuet et défavorable à la France, a plusieurs fois été mise sur la table, mais sans succès.

La problématique des éloignements des ressortissants algériens

Étant l’une des communautés les plus représentées, la communauté algérienne fait aussi le plus l’objet de mesures d’éloignement du territoire français : en 2020, 16 328 mesures d’éloignement concernant des Algériens ont été prononcées mais seules 828 ont été exécutées hors aides au départ et départs spontanés. Ce décalage est lié notamment à la difficulté d’obtention du laissez-passer consulaire, délivré par l’Algérie et qui conditionne le retour du ressortissant.

La question de la reprise des personnes éloignées est délicate : en 2021, la France a drastiquement durci les conditions d’obtention des visas en réduisant de 50% le nombre de visas accordés aux ressortissants algériens, dans le but de pousser le pays à délivrer plus de laissez-passer. En 2022, 75 000 visas ont été délivrés par notre pays aux Algériens, en donnant la priorité notamment aux étudiants et aux entrepreneurs.

Des tensions récentes qui ne doivent pas faire oublier le besoin de coopération

En février dernier, l’ambassadeur algérien en France a été rappelé par le président algérien Abdelmadjid Tebboune. Cela fait suite à l’intervention de l’ambassade de France à Tunis destinée à éviter à l’opposante Bouraoui son extradition vers l’Algérie. Celle-ci, opposante au régime, faisait l’objet d’une condamnation dans le pays.

L’incident a pris à contre-pied un rapprochement entre Paris et Alger entamé il y a six mois lors de la visite du président Macron en Algérie. Le fort investissement de la France pour un rapprochement avec l’Algérie est un dessein s’inscrivant dans la longue durée, c’est pourquoi nous continuerons à tisser des liens forts avec l’Algérie, tout en assurant le devoir de mémoire nécessaire.