Le projet de loi sur l’immigration : un compromis entre fermeté et humanité
Le projet de loi sur l’immigration, adopté par le Sénat le 12 juillet 2023, vise à renforcer la maîtrise des flux migratoires en France. Il suscite un vif débat entre partisans de la fermeté et défenseurs de l’humanisme.
Le texte adopté par le Sénat prévoit une série de mesures visant à limiter les flux migratoires irréguliers. Il prévoit notamment de rendre obligatoire le dépôt des demandes d’asile dans les pays sûrs avant d’entrer dans l’espace Schengen, de durcir les conditions d’octroi des visas et de conditionner la délivrance et le renouvellement des titres de séjour au respect des valeurs républicaines.
Le texte prévoit également des mesures visant à mieux intégrer les étrangers qui sont déjà présents en France. Il prévoit notamment de renforcer l’apprentissage du français et de favoriser l’accès à l’emploi des étrangers.
Maitriser et intégrer
Le projet de loi sur l’immigration est un compromis entre fermeté et humanité. Il vise à renforcer la maîtrise des flux migratoires tout en assurant une intégration réussie des étrangers qui sont déjà présents en France.
Quelques précisions :
Le texte adopté par le Sénat prévoit également de muscler la politique d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Il prévoit notamment de conditionner l’aide au développement à la coopération des pays d’origine en matière de réadmission.
Le groupe Horizons & apparentés, qui a soutenu le texte en séance publique, a regretté la suppression de certaines mesures en commission des lois de l’Assemblée nationale. Il s’agit notamment du rétablissement du délit de séjour irrégulier, du durcissement des conditions applicables au regroupement familial et d’un encadrement plus strict des conditions d’application de l’article 4 bis, qui permet la régularisation des étrangers qui travaillent dans des métiers en tension.
Présenté en Conseil des Ministres le 1er février 2023
Le présent projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration a été présenté en Conseil des Ministres le 1er février 2023. Il contient deux volets principaux et complémentaires : assurer une meilleure intégration des étrangers par la langue et le travail tout en renforçant l’arsenal législatif en matière d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public.
Examiné en Commission des Lois au Sénat à la mi-mars, il a été adopté enrichi de plusieurs articles allant sensiblement plus loin que le projet de loi initial (transformation de l’Aide Médicale d’Etat en Aide Médicale d’Urgence, resserrement des conditions ouvrant le bénéfice du regroupement familial, restrictions à la délivrance de visas et conditionnalité de l’aide au développement envers les États peu coopératifs en matière migratoire).
Le texte a ainsi été inscrit à l’ordre du jour de la séance publique du Sénat début novembre. A la suite de l’attaque terroriste d’Arras le 13 octobre dernier, le Ministre de l’Intérieur a mis en lumière l’insuffisance de l’arsenal législatif français en matière d’expulsion et d’éloignement des étrangers représentant une menace pour l’ordre public. Le calendrier du projet de loi permettant de répondre à cette insuffisance s’est donc accéléré : ce texte sera inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée les semaines des 11 et 18 décembre.
Réfléchir à plusieurs aspects
Aborder la politique de l’immigration de la France implique de réfléchir à plusieurs aspects : le contrôle de nos frontières, le processus d’obtention d’un titre de séjour, l’intégration de ceux ayant obtenu un titre de séjour ou le statut de réfugié mais également l’application de notre droit, à l’égard de ceux n’ayant pas leur place sur notre sol.
Aborder la politique de l’immigration nous renvoie à l’histoire de notre pays comme terre d’accueil, à la détermination de ce que serait l’identité de la France, ce que serait une intégration « réussie ».
Elle est en outre encadrée par un foisonnement de textes communautaires et nationaux et, est largement conditionnée tant par les engagements internationaux que par la conjoncture géopolitique (pays en guerre, crises économiques, bientôt effets du changement climatique).
Quelques Définitions préalables
- Un immigré est une personne vivant en France sans y être née.
- Un étranger est une personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française, soit qu’elle possède une autre nationalité (à titre exclusif), soit qu’elle n’en ait aucune (c’est le cas des personnes apatrides).
- Un réfugié est une personne qui, en cas de retour dans son pays, craint « avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe ou de ses opinions politiques ». Le statut de réfugié est délivré à la suite d’une demande d’asile formulée auprès de l’Etat d’accueil. En France, l’organisme en charge est l’OFPRA.
Chiffres clefs
- En 2021, 10,3% de la population vivant en France est immigrée, soit 3 points de plus qu’en 36% d’entre eux ont acquis la nationalité française depuis leur arrivée en France.
- Les immigrés vivant en France sont, pour l’essentiel, nés en Afrique (47,5%) et en particulier en Algérie (12,7%) et au Maroc (12%).
- L’immigration est essentiellement familiale et estudiantine (respectivement 32% des titres de séjours délivrés).
- En 15 ans, le nombre de titres de séjour délivrés a augmenté de 57%.
- Les étrangers en situation régulière (qui font donc partie des immigrés) constituent 7,4% de la population, contre une moyenne de 8,4% dans l’ensemble de l’UE.
- 26 centres de rétention administrative (CRA) (dont 4 en outre-mer) sont implantés sur le territoire français. Leur taux d’occupation en 2021 s’élève à 81,9 %.
- En 2021, 270 925 premiers titres de séjour ont été délivrés (+21,9% entre 2020 et 2021).
- 41,6 % de l’activité des tribunaux administratifs est consacrée au contentieux des étrangers.
- En 2019, 12,4 % des OQTF sont exécutées. En 2021, 104 190 demandes d’asile ont été formulées et 40% acceptées.
Historique des lois sur l’immigration
- 1989 : crée la possibilité d’un recours juridictionnel contre les mesures d’éloignement.
- 1993 : restreint les conditions d’acquisition de la nationalité française pour les personnes d’origine étrangère nées sur le sol français, en supprimant l’acquisition de plein droit de celle-ci entre seize et vingt-et-un an.
- 2003 : augmente la durée maximale de rétention administrative de 12 à 32
- 2006 : crée la procédure de l’OQTF (obligation de quitter la France) et rend obligatoire le contrat
- d’accueil et d’intégration.
- 2007 : introduit, pour la procédure du regroupement familial, un examen de connaissance de la langue française et des valeurs de la République, des seuils en matière de ressources exigibles ainsi qu’une formation sur les droits et devoirs des parents et le respect de l’obligation scolaire.
- 2012 : transpose des dispositions de la directive européenne du 16 décembre 2008 dite « directive retour » en instituant une retenue pour vérification de situation d’une durée maximum de seize heures qui remplace le régime applicable de la garde à vue.
Lois sur l’immigration 2017-2022
Loi du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen
- Autorise la France à placer en rétention un migrant après la décision de transfert vers un autre Etat européen, mais aussi dès le début de la procédure de détermination de l’Etat européen responsable de l’examen de sa demande.
- Allongement de quatre à six jours de la durée de validité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui permet d’effectuer des visites domiciliaires dans le cadre de l’assignation à résidence.
- Réduction du délai de contestation d’une décision de transfert devant le juge administratif de quinze à sept jours.
Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (2018)
- L’étranger ne dispose plus que de 90 jours (60 jours en Guyane), au lieu des 120 jours fixés par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, pour déposer sa demande d’asile une fois arrivé en France. Passé ce délai, la situation du demandeur est examinée en procédure accélérée avec un juge unique.
- La durée maximale de la rétention administrative, dispositif qui a vocation à permettre à l’administration d’organiser l’éloignement d’un étranger, est doublée et passe de 45 jours maximum à 90 jours.
- L’autorisation administrative peut désormais refuser le statut de réfugié ou y mettre un terme en cas de condamnation pour des faits graves dans un autre pays de l’UE.
- Création d’un fichier national des mineurs non accompagnés pour protéger plus rapidement les mineurs, et identifier les autres.
- Dérogation au droit du sol à Mayotte : un enfant né de parents étrangers ne peut acquérir la nationalité française à la majorité qu’à condition expresse que l’un de ses parents ait résidé en France de manière régulière et ininterrompue pendant plus de trois mois avant sa naissance.
- Pour attirer les talents et les compétences, la loi étend le « passeport talent » aux membres de la famille du titulaire de la carte sans passer par la procédure du regroupement familial. La loi ajoute également une composante orientation et insertion professionnelle pour les signataires du contrat d’intégration républicaine tout en augmentant le volume de formation linguistique, de 200 à 400 heures
Le « plan immigration » – octobre 2019
Les principes. Pour répondre efficacement aux défis migratoires actuels, il faut suivre une logique équilibrée de droits et de devoirs, d’humanité mais aussi de fermeté contre les filières et les fraudes notamment des faux mineurs. Pour bien accueillir, il faut maîtriser les flux migratoires et pour bien intégrer il faut faire appliquer les règles de la République avec beaucoup de fermeté. Edouard Philippe s’est dit ouvert à engager une réflexion sur les quotas, qui ne peut pas s’appliquer à l’asile, ni à l’immigration familiale. Dès lors, il estimait qu’il fallait aborder cette éventuelle solution sous l’angle de l’immigration professionnelle qui pourrait permettre de répondre à nos besoins de main d’œuvre.
Le Premier Ministre avait détaillé 6 orientations principales :
- Renouveler notre approche sur l’aide publique au développement en concentrant nos efforts sur les régions du monde où ils se justifient le plus et sur les enjeux de développement les plus aigus, pour traiter dans la durée, par un appui à des projets économiques ou sociaux, les causes profondes des migrations et aider les Etats à maitriser leurs frontières, combattre les réseaux de passeurs et moderniser leur état civil. Il faut donc un degré élevé de coopération avec les Etats que nous soutenons dans la maîtrise de l’immigration clandestine.
- Refonder l’espace Schengen pour mieux protéger les frontières extérieures avec la montée en puissance de l’agence Frontex et renforcer la solidarité et les capacités de contrôle à l’intérieur de l’Europe en rapprochant nos systèmes d’asile nationaux, renforcer le rôle de l’Agence Union européenne pour l’asile pour garantir une plus grande cohérence.
- Assurer une plus grande convergence européenne des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et des migrants. Les décalages entre les Etats membres sont réels, notamment en matière d’allocation versée aux demandeurs d’asile ou de conditions d’accès au système de santé.
- Donner plein effet à la loi du 10 septembre 2018 en poursuivant les efforts d’exécution, à la fois sur l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, et sur la réduction des délais d’examen des demandes d’asile.
- Faire mieux en matière d’intégration notamment par le travail par l’ajout d’un volet insertion professionnelle au contrat d’intégration républicaine ; sans remettre en cause le principe de l’autorisation individuelle, il faut simplifier et dynamiser les procédures d’accès au marché du travail ; tout en luttant plus fermement contre le travail illégal.
- Continuer à attirer les talents, qu’il s’agisse d’étudiants ou de personnes déjà entrées dans la vie Pour cela il faut fixer chaque année des objectifs d’attraction de compétences rares et de talents.