Lancement des États généraux à Poitiers

Le 18 octobre 2021, à Poitiers, le Président de la République annonçait le lancement des « Etats généraux de la Justice ». Il y astreignait deux principaux objectifs : restaurer le pacte civique entre la Nation et la justice et garantir l’efficacité du service public de la justice. En effet, malgré des investissements inédits lors du derniers quinquennat (+30% de budget en 5 ans), le constat de l’indignité carcérale et de la perte de confiance des citoyens dans l’institution judiciaire est assez largement partagé. 

Pour mener à bien cette mission, le Comité des états généraux composé de 12 personnalités (hauts magistrats et parlementaires) et présidé par Jean-Marc SAUVE devait associer à sa démarche l’ensemble des acteurs et partenaires de la justice (avocats, huissiers, surveillants pénitentiaire…) mais également et autant que possible les citoyens français. Une plateforme de consultation a donc été mise en place et a recueilli près de 50 000 contributions. 

 

Un rapport sur la justice en France

Jean-Marc SAUVE a ainsi remis, le 18 juillet dernier, au Garde des Sceaux, un rapport dressant le constat d’une justice « en crise profonde » pour plusieurs raisons :

  • d’abord, la banalisation de la loi, qui est devenue selon lui « un instrument de gouvernement à courte vue qui ne s’impose plus en majesté et dans la durée ». Il tient pour preuve par exemple le nombre d’articles législatifs du code de procédure pénale qui est passé de 1 722 à 2 403 en 15 ans ;
  • ensuite, les problèmes structurels auxquels le service public de la justice est aujourd’hui confronté, qui ne répond plus aux exigences des citoyens. Elle est considérée comme lente, difficilement accessible et compréhensible, voire imprévisible. Les délais de jugement par exemple s’établissaient à près de 14 mois en première instance en 2019.

 

Plusieurs recommandations sont formulées

  • Le renforcement des moyens humains avec un besoin estimé à 1 500 magistrats, 2 500 fonctionnaires et 2 500 assistants.
  • La clarification du rôle de la justice dans la société vis-à-vis des autres acteurs institutionnels en renforçant l’impartialité de la nomination et la gestion des magistrats du ministère public et en conférant au CSM un pouvoir d’avis conforme sur les propositions de nomination de ces magistrats.
  • Des réponses adaptées à chaque secteur :
    • En matière civile et afin de désengorger les tribunaux civils, le développement des modes alternatifs de règlement des différends et la transformation des conseils des prud’hommes en tribunaux de travail qui seraient rattachés aux plans administratifs, organisationnels et budgétaire, au tribunal judiciaire.
    • En matière pénale, une réécriture du code de procédure pénale dans un souci de simplification sans que cela ne conduise à remettre en cause la garantie des droits.

 

Un constat sévère

Dans son rapport, le Comité étaye son constat selon lequel « l’institution judiciaire paraît grippée. Pour beaucoup, elle serait en lambeaux ».

 1. L’allongement des délais

En effet, alors que le nombre d’affaires portées devant les juridictions diminue, les délais s’allongent. Par exemple, le nombre d’affaires pénales portées devant les cours d’appel a baissé de -26% entre 2005 et 2020 mais le stock d’affaires en attente est passé de 22 500 à plus de 35 000 sur la même période et le délai de traitement est passé, en moyenne de 7 à 15 mois. Or, l’allongement des délais conduit à mettre en cause de façon plus fréquente la responsabilité de l’Etat : en 2019, l’Etat a été condamné 283 fois pour déni de justice à raison de délais déraisonnables de jugement en matière civile, dont 90% devant les conseils de prud’hommes.

2. L’inflation législative

L’inflation législative et la multiplication des normes européennes et réglementaires créé une instabilité forte tant pour les juges, dont l’action est naturellement complexifiée, que pour les citoyens pour qui la norme devient de plus en plus illisible. Le contentieux du surendettement en est une illustration : 22 lois, ordonnances et décrets sont intervenus entre 2003 et 2019 pour procéder à des changements dans le droit et la procédure applicables et les modalités de traitement des dossiers.

3. Un déficit de moyens

Le service public de la justice souffre également d’un déficit de moyens malgré une augmentation de 14% des effectifs ses services     judiciaires          et           de          34%       pour l’administration pénitentiaire sur la période 2006-2021. Néanmoins, le nombre de juges pour 100 000 habitants en France (10,8 juges) demeure inférieur à celui de pays comparables tels que l’Espagne (11,5), l’Italie   (11,8),   la            Belgique              (13,3)    et l’Allemagne (24,5)276. La situation des parquets semble plus défavorable encore avec trois procureurs pour 100 000 habitants en France, contre 5,2 en Espagne, 7,7 en Belgique et 7,1 en Allemagne. Cela détonne particulièrement par comparaison au nombre de prérogatives exercées par ces derniers.

4. Sectoriellement

Enfin, sectoriellement, la justice civile est identifiée comme souffrant d’un « déclassement ». Entre 2009 et 2020, l’affectation des juges dans ce domaine a enregistré une baisse près de 12 %, soit une perte de 176 ETPT de juges non spécialisés en première instance entre 2010 et 2020. Les conseils des prud’hommes en sont un exemple significatif : malgré une baisse des saisines, les délais de jugement n’ont pas diminué avec une durée de moyenne des procédures de 16,2 mois de janvier à juin 2021. Dans 60% des cas, les jugements prud’hommaux sont frappés d’appels. 

En matière pénale, une sévérité croissante de la réponse pénales est avancée : malgré la loi du 23 mars 2019 qui a réduit les possibilités pour le juge de prononcer de courtes peines, le quantum moyen d’emprisonnement a poursuivi son augmentation entre 2019 et 2020, passant de 8,7 mois à 9,5 mois. Or, le coût moyen d’une année de prison est estimé à 32 000 euros, tandis que le coût moyen annuel d’une mesure en milieu ouvert est de 1 400 euros.

En matière pénitentiaire, la population détenue a crû de +45,4 % en 18 années pour atteindre 69 992 détenus au 1er janvier 2021 pour 60 775 places en prison, soit un taux moyen d’occupation de 115%.  Avec un taux d’incarcération de 105,3 personnes incarcérées pour 100 000 habitants au 31 janvier 2020, la France se situe dans le milieu du classement des pays de l’Union européenne en la matière.

Tous ces éléments conduisent assez naturellement à une défiance croissante des citoyens vis-à-vis de l’institution judiciaire : la justice est vue comme lente ou « plutôt lente » par 93 % des sondés. Elle est en outre perçue comme opaque ou « plutôt opaque » par 67 % des personnes interrogées et laxiste ou « plutôt laxiste » par 68 %. 53 % des personnes sondées indiquent avoir peu ou pas du tout confiance en la justice.

Des recommandations

Pour répondre à ces forts enjeux, le rapport rendu par le Comité formule un certain nombre de recommandations : 

  • En matière budgétaire, il serait nécessaire recruter au moins 1 500 magistrats supplémentaires au cours du prochain quinquennat. Il est également suggéré de recruter 2 500 à 3 000 greffiers supplémentaires, 2 000 agents et atteindre 2 000 juristes assistants.
  • En matière institutionnelle, le comité propose la suppression de la Cour de justice de la République au profit d’une application du droit commun avec un système de filtrage et une refonte du rôle du CSM. Il souhaite en effet son avis conforme sur les décisions concernant les magistrats du parquet, mais sans lui donner un pouvoir d’initiative sur les nominations des procureurs de la République et des procureurs généraux.
  • En matière civile, il propose de renforcer la collégialité et les moyens alloués à la première instance. En contrepartie, l’appel serait limité et deviendrait à terme une simple voie de réformation. Certains contentieux (loyers impayés, délais de paiement, fixation des pensions alimentaires) devraient être barémisés.
  • En matière pénale, le comité préconise une réécriture du code de procédure pénale en rappelant que « l’impératif de simplification ne saurait conduire à remettre en cause la garantie des droits ». Il souhaite également scinder les missions du JLD entre matière pénale et matières civiles et administrative afin de renforcer l’attractivité de cette fonction.
  • En matière pénitentiaire, le comité est favorable à la mise en place d’un mécanisme de régulation de la population carcérale par l’instauration d’un seuil d’alerte et d’un seuil de criticité, qui s’ils sont atteints, conduirait à l’instauration de mesures de régulation, comme lors de la crise sanitaire. Cela s’accompagnerait par un renforcement de la présence des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) en juridiction et de la création d’une agence nationale de prévention de la récidive et de la probation.
  • En matière d’éducation, un renforcement de l’enseignement du droit paraît indispensable. Le comité a identifié deux vecteurs pour renforcer l’initiation au droit des élèves : la révision des contenus sur le droit et la justice figurant au programme de l’enseignement moral et civique et la généralisation de l’option « Droit et grands enjeux du monde contemporain ».

Le Projet de loi de finances 2023 : une première réponse

Dans l’attente d’une réforme structurelle du le service public de la justice, le projet de loi finances pour 2023 prévoit d’ores et déjà un renforcement des moyens :

  • 3,3 milliards d’euros prévus pour les services judiciaires (+9%) ;
  • 3,9 milliards               prévus pour l’administration pénitentiaire (+7%) ;
  • 917 millions consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse (+10%) ;
  • 1 000 euros brut par mois en moyenne pour les magistrats ;
  • 10 millions consacrés aux greffiers sur 3 ans (+12%) engagement d’une réflexion

sur une réforme du statut des greffiers et leur rémunération ;

  • La création de 10 000 emplois supplémentaires d’ici 2027 soit 11% de plus en 5 ans dont 2 253 dès 2023 ;
  • Un plan de construction des 15 000 places de prison (pour atteindre 75 000 places en 2027), avec un budget de 441 millions ;
  • Une hausse des crédits d’investissement informatiques (195 millions d’euros) ;
  • 660 millions d’euros consacrés aux frais de justice (+12 millions d’euros) pour renforcer les moyens d’enquête et d’expertise judiciaire